Processus de La Valette : Round 2

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par Samir Abi, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations

De part sa position géographique l’île de Malte fait bien le lien entre les côtes européennes et les côtes africaines. Cette position a encouragé des milliers de migrants à braver les 340 km séparant l’archipel des côtes libyennes pour rejoindre l’Europe ces dernières années. La Valette, la capitale maltaise laisse donc voir des groupes de migrants qui déambulent dans les rues en attente d’une régularisation hypothétique pouvant les aider à continuer la route vers les arrières pays du vieux continent.

C’est ce lieu symbolique de la migration euro africaine que va choisir l’Union Européenne (UE) pour tenir, en novembre 2015, un Sommet entre les gouvernements des deux continents afin d’endiguer l’arrivée de migrants africains au large de ses côtes méditerranéennes. Ainsi naîtra le processus de La Valette et son plan d’action. Le  processus de La Valette va redessiner les contours de la coopération au développement de l’Union Européenne avec l’Afrique en faisant du contrôle des migrations africaines vers l’Europe un élément de conditionnalité de l’aide européenne.  Un plan d’action en cinq points va être adopté portant sur la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière, la promotion de la mobilité légale, la protection et le droit d’asile pour les personnes fuyant les conflits, la lutte contre le trafic des migrants, et enfin le retour, la réadmission et la réintégration des migrants sans papiers vivant en Europe.  Un fond fiduciaire de 1,8 milliards d’euros va également être lancé pour financer « en urgence » les projets à mettre en œuvre dans le cadre du plan d’action de La Valette afin de bloquer l’arrivée « clandestine » de migrants africains en Europe.  

Un peu plus d’un an après le sommet de La Valette, l’heure est au bilan. Retour donc à Malte où s’est tenu les 8 et 9 février 2017, une réunion de hauts fonctionnaires d’Afrique et d’Europe afin d’évaluer la mise en œuvre des décisions prises en novembre 2015.

Une atmosphère sécuritaire

L’île de Malte se prêtait bien à cette rencontre d’évaluation de part son caractère insulaire et quasi fermé au monde extérieur. Bien loin des côtes des continents, les hauts fonctionnaires pouvaient donc se retrouver à l’abri des regards et de toute gêne, pour pouvoir discuter sereinement de leurs actions autour de la migration ces derniers mois. Malgré le repli dans la petite cité maltaise de St Jullian, où s’est tenue la rencontre, le Westin Dragonara Ressort était sous haute surveillance. La centaine de délégués européens et africains devait passer par un contrôle au scanner de leur badge puis un contrôle visuel de badge avant de pouvoir rentrer dans la salle des réunions.

Les quelques journalistes ayant eu l’audace de venir couvrir la réunion ont d’ailleurs été interdits d’accès à la salle. Le caractère clos de la réunion peut donc laisser imaginer à quel point les parties présentes avaient peur que les opinions publiques dans leur pays respectif aient des échos critiques de ce qui se discutait entre les quatre murs de cet hôtel. Se frayant un chemin entre les barrières politiques, diplomatiques et sécuritaires, quatre organisations de la société civile africaines et européennes ont pu se faire une place à la table des discussions, non sans avoir douté jusqu’à la dernière minute à cause des oppositions formulées par certains pays à leur participation.

Une mise en œuvre déséquilibrée

C’est l’opinion exprimée par l’Union Africaine et quelques autres pays africains au sujet de la mise en œuvre du plan d’action de La Valette. Dès le début de la réunion, l’Union Africaine, dans son discours introductif, a tenu à dénoncer le fait que ses partenaires européens mettent l’accent plus sur le financement des projets visant à lutter contre les trafics des migrants et à favoriser les rapatriements des migrants sans papiers. Elle reprochait également le peu d’effort de la partie européenne pour proposer des voies légales de mobilité pour les citoyens africains vers l’Europe préférant plutôt favoriser la fuite des jeunes cerveaux africains par la promotion des bourses via ERASMUS plus. La preuve en a été le nombre de hauts fonctionnaires africains qui ont été privés de participation à la réunion d’évaluation faute de visa. Certains hauts fonctionnaires africains ont même haussé le ton pour dénoncer les traitements dont ils ont été l’objet dans les consulats européens de leur pays. Ils  se sont vus délivrer des visas de quatre jours pour une mission officielle en Europe ce qui les plaçait dans une position délicate en cas d’annulation de vol. Le point sur la mobilité légale va, tout au long de la réunion, être sujet d’âpres discussions entre les parties européennes et africaines.

De leur part les hauts fonctionnaires européens vont se féliciter d’avoir honoré leur engagement au niveau du fonds fiduciaire d’urgence en augmentant son montant à 2,5 milliards d’euros en plus du lancement prochain du Plan d’Investissement Extérieur Européen d’un montant de 40 milliards d’euros. Les pays européens vont respectivement rappeler aux africains leurs attentes par rapport aux politiques migratoires à mettre en œuvre sur leur continent. L’Allemagne va insister sur la nécessité que les partenaires africaines fassent plus d’effort pour accepter la réadmission des migrants sans papiers. La Grande Bretagne quant à elle reviendra sur son souhait de voir les réfugiés cantonnés au plus près de leur pays d’origine à proximité des zones de conflit. Et à l’ensemble des pays de l’Union Européenne de donner également les bons points au Niger pour sa « bonne politique » en matière de lutte contre la migration irrégulière. Aux bons élèves plus de financement du fonds fiduciaire tel que défini par le nouveau principe qui dicte la coopération au développement entre l’UE et l’Afrique : « More For More » (« Faire Plus pour Recevoir Plus »).

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